Girard en son pays

C’est à Isabelle Rüf, critique au Temps de Genève, que nous devons le premier (le dernier ?) article venu de Suisse sur la réédition d’Othon et les sirènes de Pierre Girard dont elle salue l’art des « sursauts d’étrangeté dans un récit d’apparence anodine ». L’auteur genevois, un peu oublié chez lui, gagnera peut-être quelques lecteurs qui voudront ensuite découvrir ses autres œuvres qu’on invite vraiment à aller découvrir.

Voici l’article in extenso :

 

DES SIRÈNES À GENÈVE

 

Un heureuse réédition d’un roman de l’écrivain genevois

C’est grâce au docteur Patrick Baud, psychiatre à Genève, que Othon et les sirènesest parvenu aux éditeurs de L’Arbre vengeur, cette excellente petite maison qui publie également les recueils annuels de L’Autofictif , le blog d’Eric Chevillard. Pierre Girard (1892-1956), l’auteur de ce récit délicieux, a quelque peu disparu: seules quelques rééditions à L’Age d’Homme, en poche, font le plaisir d’un petit cercle d’amateurs. Ce fidèle citoyen de Genève a pourtant laissé des nouvelles et des romans qui ont tous sa ville pour cadre.

Le narrateur est revenu à la pension Rothmeer, où il a coutume de soigner ses chagrins d’amour dans la chambre aux nénuphars. L’établissement est fréquenté par de charmantes étudiantes grecques. Sous la bienveillante attention de Madame Rothmeer, «vêtue de métal en fusion», il y règne un climat festif, teinté d’un érotisme que cristallise la belle Anaïs. «Il y a dans chaque femme une rumeur, comme dans une coquille», et cette musique est charmante. Un hôte nouveau, un amer buveur d’eau minérale, qui mange avec férocité, comme on se venge, vient plomber cette atmosphère légère. Pour le narrateur, l’intrus représente un défi. La chronique feutrée des événements minuscules qui agitent la pension est zébrée de remarques et de digressions quasi surréalistes.

C’est justement l’art de Pierre Girard que ces sursauts d’étrangeté dans un récit d’apparence anodine. S’il aimait Giraudoux, Valéry Larbaud, Oscar Wilde, il a su trouver son style propre.

Isabelle RÜF