Fabien Courtal, presque

La société Lumière de Fabien Courtal devait sortir en librairie le 2 avril. Un virus mal intentionné en a décidé autrement. Quand paraîtra cet intrigant premier livre, nous n’en savons trop rien pour l’heure. Nous avons demandé à son auteur pour qui cette épreuve se rajoute au confinement généralisé d’aborder ce sujet. Il l’a fait avec élégance. Nous produisons le texte ici bas :

Le moucheur de chandelles

J’ai écrit sans m’attendre à rien ; passé les dernières années de l’adolescence – quand j’ai bien dû me rendre à l’évidence que j’irais surtout au hasard et que mes plans n’existeraient jamais que pour me divertir un court moment de ce constat têtu que vraiment j’avançais en aveugle – j’ai retardé, encore et encore, de m’y mettre ; et puis je m’y suis mis, à moitié, au hasard pour ne rien changer : j’ai écrit sans savoir pourquoi, une collection de petites proses qui, elles non plus, ne donnent pas le sentiment de savoir où aller. On me disait : mais les personnages, mais la fin, le début ? On m’invitait à tenter les formes longues, le roman, ignorant peut-être où j’étais, autrement dit au même endroit que ces figures en rêve que je faisais passer d’une scène à l’autre avant de les abandonner dans ce qui n’est pas la lumière – ni la nuit non plus, à ce que j’en devine. Il y a, au début  du dernier paragraphe de « Continuité des parcs », ces deux phrases : « Elle devait suivre le sentier qui allait vers le nord. Sur le sentier opposé, il se retourna un instant pour la voir courir, les cheveux dénoués »  ; et puis en quelques lignes c’est la fin, on n’a plus entendu parler d’elle. Je crois n’avoir jamais aspiré à autre chose en écrivant qu’à ces deux phrases, à ce merveilleux tour d’escamotage – en vivant aussi, à coup sûr, mais c’est une autre histoire, ou justement ça n’en est pas une.

Il y a deux ans à peu près, je me suis retrouvé avec assez de ces récits tronqués pour que l’idée s’impose à moi de leur chercher un éditeur. Cela me semblait naturel. Les choses, là aussi, se sont faites, j’ai trouvé ma maison, et ce qui n’était pas encore un livre, pour finir, en est devenu un. Il a bien fallu que j’y retouche, presque jusqu’au bout – avec une méticulosité qui me surprend toujours un peu moi-même. Et quand le livre a été là, je me suis lu : j’ai été très heureux de lire ce livre, comme si déjà il m’appartenait un peu moins. Le livre sortirait bientôt, aurait des lecteurs, au moins quelques-uns ; je n’aurais plus à me demander interminablement ce qu’il faisait là. Peut-être même s’en trouverait-il, parmi ces lecteurs éventuels, pour avoir une idée de ce que j’avais fait, que je cernais si mal, et j’espérais cela par-dessus tout.

En une semaine – nous en sommes au troisième jour de confinement, mais jeudi dernier nous devinions déjà ce qui suivrait – j’ai dû me rendre à l’évidence que ce serait pour une autre fois.

Il y a dans un coin de ma tête – ces temps-ci je ne laisse rien s’aventurer du côté du cœur, trop voisin des poumons sans doute – un enfant coléreux à qui il prend, de moment en moment, de me hurler je ne sais quoi à propos du destin qui s’acharne et du complot universel attaché à gâcher ses plans – à propos de je ne sais quel ennemi intime ou quel ogre mangeur de feu ou quelle ombre qui vient toujours exprès moucher les bougies à ses repas de fête. Qu’il fasse ce qu’il a à faire : l’enfant n’a jamais rien entendu aux coïncidences. Il ne s’agit pas même d’être décent : le monde me dépasse depuis le début, et aujourd’hui il me dépasse en grand : je le laisse passer devant moi ; j’ai renoncé à l’embrasser d’un seul regard. Ajouter mes apitoiements d’écrivain retardé à la marée qui monte autour de nous n’aurait aucun sens. Je m’occupe autrement, je tâche de rester utile à mon échelle. Je vais de mon côté, le livre du sien, sur deux sentiers distincts dont évidemment je voudrais savoir où ils mènent, à travers quoi ; on n’est pas gagnant à se poser ces sortes de questions : je verrai bien – quoi qu’il y ait à voir, de son côté comme du mien.    

Fabien Courtal, le 18 mars 2020.