L’autofictif et les trois mousquetaires

Éric Chevillard

Un mercredi de septembre, Chevillard écrit :

Au XVIIe siècle encore, on utilisait le s long qui s’écrit à peu près comme le f. Il se prononçait pourtant bien comme le s, c’est du moins ce que l’on a toujours prétendu. 

Or je viens d’exhumer un décret de 1693 ordonnant aux boulangers de Dijon, suite à de nombreuses plaintes des habitants au sujet de leur immangeable pain bis, de « tenir leurs boutiques fuffifamment garnies de pain blanc, à raifon de feize deniers la livre ». 

Et l’on comprend alors que ce n’est pas une question de graphie, mais bien plutôt que l’échevin rédacteur du décret se sera lui-même brisé les dents en mordant dans ces quignons.

Toujours ce principe acquis depuis onze ans de proposer chaque jour que Dieu fait (sauf l’été : repos le week-end) trois courtes proses qui forment un billet, soit que le trio ait une unité, soit qu’il s’agisse d’un éclat solitaire, ou d’un thème revenant régulièrement, Eric Chevillard n’aimant rien tant que les variations où il peut laisser librement cours à sa veine comique notamment. Ainsi :

“J’aurais aimé être là quand l’inventeur de la confiture et celui du pot se sont croisés par hasard. Il paraît que le premier est tombé dans les bras du second.”

“Ce dut être un beau moment que celui où les inventeurs respectifs du pain, du beurre et du couteau révélèrent au monde leur projet commun.”

Rendez-vous matinal d’amateurs qui commencent leur journée par une tasse d’autofictif, ce journal quasiment pas intime (malgré de réguliers aveux, malgré des confidences, des souvenirs, des récits de voyages) devient un livre au mois de janvier car la littérature n’est jamais aussi bien que sous une couverture. Celles de L’Autofictif sont souvent noires et assez elliptiques, comme le style de l’auteur. Livre à avoir sous la main, presque sous la douche, ce viatique rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’écrire des romans ou composer des poèmes pour faire de la littérature.


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