Cela aurait pu être un roman découpé en séquences autour du thème obsessionnel des doubles vies et des mondes cachés, mais les nouvelles ont pris leur autonomie, tolérant à peine le voisinage avec d’autres qui ont néanmoins en commun cette absurdité excitante qui est la marque de fabrique de Sammy Sapin. L’éclectisme de ses lectures, qui vont de Terry Pratchett à Hardellet, se déploie dans un univers où le quotidien vient télescoper l’insensé, où la raison démissionne au profit d’une irréalité qui n’hésite pas à flirter avec la drôlerie. Insolentes comme nous les aimons, ces nouvelles témoignent d’un art du mélange qui offre une succession de plaisirs différents, comme si leur auteur refusait d’être prisonnier d’une littérature de genre : fantastique, post-apocalyptique, pulp, angoisse, “sous-genres” allègrement malmenés. Sammy Sapin se plaît à tenter l’impossible réconciliation entre des univers qui ne sont même pas fâchés tant ils s’ignorent, la littérature dite blanche avec la noire qui vire au violet, et sans jamais virer au pastiche.
Dernière particularité du recueil : il est envahi de références, de décors et de personnages issus du monde médical, ce qui n’est pas sans contribuer à l’ambiance, aseptisée mais proche de la folie, propre et fortement sensuelle. Comme si nous pénétrions dans les cauchemars inavouables de médecins et d’infirmiers secoués par la violence de leur milieu.