Une brève sans image

Bernard Quiriny sur Han Ryner

Un petit conte anarchiste

Les amateurs de littérature 1 900 et ceux qu’intéresse l’anarchisme fin-de-siècle ont sans doute déjà croisé le nom d’Han Ryner, qui contrairement à sa sonorité n’est pas Américain mais Français : c’était le pseudonyme d’Henri Ner (1861-1938), romancier prolifique, poète, auteur familier des feuilles anarchistes parisiennes (L’Endehors de Zo d’Axa, le Père peinard d’Emile Pouget, etc.), collaborateur de l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, proche d’Alphonse Daudet puis de Rosny. Un peu oublié dans le fourmillement littéraire de l’époque (pardon pour ce calembour !), Ryner fait l’objet depuis quelques années d’une petite redécouverte : une thèse en 1993 (par Gérard Lecha, à Tours), Le Père Diogène réédité en 2007 chez Premières Pierres, son Petit manuel individualiste il y a trois ans chez Allia, et maintenant cet Homme-fourmi, initialement publié en 1901.

Ce petit roman est une excellente illustration du merveilleux scientifique tel qu’on le pratiquait à l’époque, genre qui prépare lointainement la science-fiction et qui préfigure avec quelques années d’avance les inventions d’H.G. Wells. L’intrigue est toute simple, et assez charmante : un brave garçon nommé Octave-Marius Péditant, 25 ans, est changé par une fée en… fourmi. Il vit désormais en fourmi, pense en fourmi, sent en fourmi, et découvre avec fascination l’incroyable société des fourmis. On est un siècle avant les romans à succès de Bernard Werber, trente ans avant les essais célèbres de Maeterlinck ; Ryner n’est du reste pas le premier à se passionner pour ces bestioles, déjà étudiées, comme le rappelle Natacha Vas-Dayres dans son intéressante préface (où ne manque… que la date de parution du roman !), par des scientifiques comme Ernest André en 1885 (Les Fourmis), et mises en scènes en littérature chez Alphonse Bleunard qui, en 1893, imaginait des hommes miniaturisés pour qui la fourmi est une terreur…

Satire. Outre l’intérêt de redécouvrir ce roman pour comprendre l’histoire de la SF, il est évidemment tentant de le raccrocher aux convictions anarchisantes de l’auteur, et d’en faire une lecture politique. Il faut se méfier des anachronismes, bien sûr, mais la soumission à la communauté et la discipline militarisée, caractéristique d’une fourmilière, sont après tout des thèmes majeurs du XXe siècle qu’a très bien pu anticiper un romancier de 1901 ; sans compter la satire possible de la société industrielle, et de l’écrasement qu’y subit l’individu. Autant d’aspects qui justifient qu’on rouvre aujourd’hui ce petit volume par ailleurs légèrement vieilli, avec un minuscule regret : on ne trouve pas dans cette réédition (excellemment confectionnée par ailleurs, comme toujours chez l’Arbre vengeur, avec un très beau dessin de couverture signé Greg Vezon) un ou deux fac-similés des gravures réalisées à l’époque par l’illustrateur Alexis Mérodack-Jeaneau pour la version originale. Mais on les trouve facilement en ligne.

Bernard Quiriny – L’opinion,  décembre 2013

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