L’opinion de Bernard Quiriny sur Mes migraines

Bernard Quiriny n’est pas seulement de nos écrivains favoris (on recommande son dernier opus qui est un trésor), c’est aussi un critique érudit qui apprécie nos livres, ce qui nous le rend encore plus sympathique. Il a découvert Mes migraines de Raphaël Rupert en se souvenant de tous ces écrivains malades qui envahissent le monde des lettres.

” Les écrivains semblent être prédisposés à la maladie. J’ignore où sont la cause et l’effet, si c’est la maladie qui pousse à écrire ou la sensibilité d’écrivain qui porte à la mauvaise santé, mais la corrélation ne fait guère de doute. Proust était asthmatique. Nimier, cardiaque. Natsume Sôseki a réchappé à une hémorragie gastrique. Stevenson avait une maladie respiratoire. Larbaud a souffert toute sa vie. Maupassant avait la syphilis. Et je ne parle pas des maladies liées à l’alcool (Verlaine, Kerouac, tant d’autres), ni des maladies mentales : troubles bipolaires (Hemingway), dépression nerveuse (Virginia Woolf), troubles hallucinatoires (Artaud), troubles obsessionnels compulsifs, etc.

Je rêve d’une librairie qui présenterait les livres non par ordre alphabétique ou par collections, mais d’après la maladie des auteurs. Il y aurait un rayon des fous, des anémiés, des tuberculeux, des mélancoliques, et ainsi de suite. Ce serait macabre, d’un goût douteux, mais je suis sûr que cela permettrait d’opérer des rapprochements significatifs, et d’éclairer l’histoire littéraire sous un jour nouveau. Il y aurait, évidemment, une étagère pour les migraineux. Je découvre dans Migraines, le deuxième roman de Raphaël Rupert, que plusieurs écrivains ont souffert de migraines : Maupassant, Nietzsche, Balzac, Roland Barthes, Lewis Carroll. Au sujet de ce dernier, il paraît que les fantaisies d’Alice au Pays des Merveilles sont une transposition des hallucinations subies pendant ses crises !

Maladie parisienne. Le héros de Migraines, Hector, travaille au ministère de l’Equipement. Toute sa vie, il a souffert de migraines. « Maladie parisienne, des gens de lettres et des petits employés de bureau, liée à l’oisiveté et à l’ennui, à la bourgeoisie et à la vie citadine. » A chaque fois qu’il a voulu accomplir un acte décisif, comme déclarer sa flamme à la fille de ses rêves, il a été terrassé par une migraine. Si ça se trouve, sa vie sans migraine aurait été bien différente… Meilleure, sûrement ? A force d’y penser, Hector entre dans une crise de la quarantaine carabinée, racontée par Rupert sur le même ton humoristique qui faisait merveille dans son premier roman, Anatomie de l’amant de ma femme.

Il y a chez cet écrivain un dandysme, un art du gag pince-sans-rire, une manière anglaise d’affronter les catastrophes. Plus il pousse le bouchon, mieux ça fonctionne ; à preuve, la scène de la piscine – que je vous laisse la découvrir –, modèle d’incongruité, de burlesque distingué, avec une touche d’exubérance sexuelle. C’est drôle, mais pas seulement : il y a derrière l’humour une mélancolie rentrée, une conscience du côté dérisoire de la vie, surtout quand on n’a, comme le héros, que la migraine comme trophée. « Il y a des vies, comme la mienne, épargnées par l’histoire et la guerre, qui n’endurent pas de brutaux coups du destin, qui ne sont pas la proie de graves maladies. Ces vies sont juste empêchées par de petits embarras. A leur modeste échelle, elles sont pourtant pathétiques. » “