Certains livres vous marquent quand vous les découvrez – vous vous rappelez même avec précision les circonstances de leur lecture – et vous accompagnent ensuite tout au long de votre vie : vous y faites parfois un tour en espérant y retrouver l’émotion première et vous vous étonnez du plaisir renouvelé. À L’Arbre vengeur, nous pourrions en citer quelques uns. Il y en a un néanmoins qui fait figure de phare et dont nous parlons à longueur d’années, à deux voix ou en solo, un recueil de nouvelles (ah, encore des nouvelles) démesuré qui explore avec une inspiration et un style qui laissent pantois une thématique pour le moins risquée : la bouche… Alain Fleischer, son auteur, entama véritablement sa carrière “littéraire” à 50 ans avec ce livre publié par Denis Roche (qui, à réception du manuscrit, décida aussitôt de l’éditer) dans sa fameuse collection “Fiction & cie”, en 1999. Un siècle de bouleversements littéraires s’achevait avec cet opus important (500 pages) qui se fit remarquer sans vraiment s’imposer durablement au pays du roman roi, même si son auteur ne cessa plus de publier, et à rythme incroyablement soutenu qui n’aida pas à forger sa gloire (en France, il faut souvent se faire rare pour être célébré). Pour nos vingt ans, nous avons lancé quelques signaux à des écrivains admirés. Alain Fleischer a été assez ému d’apprendre que la flamme de son livre trentenaire continuait à brûler dans le cœur de quelques exaltés. Et quand l’idée (saugrenue) s’est posée : et pourquoi pas reprendre La femme qui avait deux bouches ? Il a de tout de suite encouragé nos efforts, permis des négociations avec Le Seuil (merci à feu Maurice Olender qui, quelques jours avant sa disparition œuvrait en coulisses pour nous aider) et voilà qu’en octobre, à notre grande joie, ce grand livre signé d’un ogre inspiré, riche, dense, excessif, un peu fou, reparaîtra sous nos couleurs, dans un format hybride, et avec deux nouvelles inédites. Et pour compléter le tableau, nous publierons en même temps un recueil inédit de l’auteur, “Risibles malentendus”. Après quoi, nous gagnerons le sommet d’une montagne pour mourir en paix, le devoir accompli.